Deux femmes sur scène, debout, assises, courant, s’arrêtant, en tas, en vrac, en sac, parlent, se parlent, énumèrent, légifèrent, s’interrogent, se demandent, nous demandent, se jugent, se jaugent : mais c’est quoi ? c’est vous, c’est nous, c’est depuis longtemps, c’est ici et maintenant. Deux femmes, mais “femme” n’est pas une catégorie ni un genre, c’est un point d’appui, concret, matériel, pour faire passer, faire circuler, des mots, des objets, des questions, des émotions. Ce qui circule, c’est l’abondance, tout ce surplus de la société, tout ce que l’on consomme, nourriture, sexe, spectacle, ce qu’on mange, ce qu’on se met, dans la tête, sur le corps, tous ces mots en trop, toute cette bêtise, toute cette pauvreté, toute cette absence, de quoi, de sens, de but, de liens, de rapports, de sentiments, toute cette présence en creux, tout ce vide qui déborde. No ideas but in things, disait William Carlos Williams, pas d’idées si ce n’est dans des choses, ici on pense avec des choses concrètes, des mots concrets, en situation et en dialogue, et le théâtre vient de cette façon. Le théâtre : une forme d’étonnement, l’étonnement de proférer des mots et des phrases, de les lancer devant soi et de les sentir voler, toucher, rebondir, l’étonnement devant le langage et ce qu’il y a dessous, devant la vie en somme, toute ma vie comme il est dit. C’est une histoire de trop et de pas assez, de tout et de rien, c’est politique, physique et métaphysique, c’est mettre en jeu ce paradoxe, parler et être sexué, avoir des limites et être illimité, et ce qui se passe sur scène nous tire aux quatre coins de l’existence, destin et projet, et que faire, on n’a qu’une vie, elle est ici et maintenant, et alors quoi.